Les rangers du Sihlwald, le seul parc naturel périurbain de Suisse, sont à la fois des guides, des forces de l’ordre et des forestiers, qui entretiennent les chemins en intervenant de la façon la plus douce possible. (photo : Sylvain Müller)

Nature Balade dans le Sihlwald, seul parc naturel périurbain du pays, étudié de près par les promoteurs du projet vaudois

Au fond d’une vallée encaissée, dans un décor de verdure luxuriante pourtant seulement éloigné de 12 km à vol d’oiseau du centre-ville de Zurich, un parking en gravier accueille les visiteurs. Bienvenue au Sihlwald, le seul parc naturel périurbain de Suisse. Et l’objet de pas mal d’attentions depuis qu’est née l’idée d’en créer un second aux portes de Lausanne, dans les Bois du Jorat.

«C’est une référence essentielle pour nous puisqu’il n’y en a pas d’autre modèle du même type», confirme Anne Marion Freiss, la présidente de l’Association Jorat, une terre à vivre au quotidien, chargée de mener le projet vaudois. «Il présente beaucoup de similitudes avec ce que nous aimerions réaliser, en particulier une zone réservée de grande taille. Mais aussi des différences, dont la première, qui leur a pas mal simplifié les choses, est d’être situé sur les terres d’un seul propriétaire, la Ville de Zurich.»

«Et huit ans après sa reconnaissance officielle (ndlr: mais l’exploitation du bois a été stoppée il y a plus de vingt ans), quelques-uns éprouvent encore le sentiment de se balader dans une propriété zurichoise, constate la gérante, Karin Hindenlang, en accueillant les visiteurs au Besucher Zentrum. Mais les mentalités évoluent.»

Depuis 2009, le parc est en effet géré par une fondation qui s’est installée dans les bâtiments d’une ancienne scierie. Le site, desservi par une ligne ferroviaire, comporte un petit magasin faisant également office de stand d’information. On y trouve encore un restaurant et un musée de 300 m2. Il présente l’histoire du parc, celle de l’exploitation forestière dans le secteur et des expositions temporaires sur la faune ou la flore. À l’extérieur: des jeux pour enfants en bois et en cordes, un grand couvert où s’organisent parfois des mariages ou des anniversaires, un enclos avec une loutre faisant office de mascotte et des aménagements pour accueillir les différents types de visiteurs. Les cavaliers peuvent y attacher leurs chevaux, les promeneurs y faire boire leurs chiens.

«Un honneur»

Chapeau en cuir et chemise vert kaki, un ranger nous rejoint. «Bonjour, je suis Emmanuel Uhlmann, un ancien forestier et charpentier. Montrer et expliquer aux visiteurs cette forêt différente est pour moi un honneur.» Eh bien justement, allons la voir, cette forêt différente.
Après avoir traversé une route cantonale, on emprunte un sentier débouchant sur une place en gravier envahie par les herbes. «Il y a cinq ans, les voitures faisaient encore demi-tour ici. La nature reprend très vite ses droits», constate notre guide. Un peu plus loin sur le sentier, un gros tronc barre le passage. Les rangers y ont découpé une sorte de marche. «On essaie d’intervenir le moins possible. Si un arbre abîmé est vraiment dangereux, on essaiera de simplement le tirer en bas plutôt que de le scier. C’est une nouvelle manière de penser.»
La balade se poursuit dans un décor très proche d’une forêt traditionnelle, quelques arbres couchés çà et là mis à part. À l’échelle de la vie d’une forêt, vingt années d’arrêt de l’exploitation ne sont pas suffisantes pour vraiment transformer le paysage. «Mais avec la restriction des libertés de déplacement, le manque d’entretien est toujours le principal reproche que nous font les quelques derniers opposants, explique Karin Hindenlang. Pour nous la notion de dégâts n’existe toutefois pas: tout est évolution de la nature.»

Une vision que ne partage évidemment pas André Jordan, le président de l’Association Parque pas mon Jorat, qui a aussi visité les lieux au mois de juin dernier, justement en compagnie d’opposants locaux. «Contrairement à ce qu’on nous dit ici, le bois bostryché n’est pas enlevé. Et il y a quand même beaucoup de bois par terre. Mais le plus gros problème, c’est qu’ils continuent à fermer des chemins chaque année. Nous étions à proximité d’un centre équestre qui a dû fermer parce que les gens ne pouvaient plus aller en forêt.»

Mais revenons à notre balade forestière, qui traverse maintenant un secteur exclusivement composé de sapins rouges du même âge. Ils risquent donc fort de tomber tous plus ou moins simultanément dans quelques années. Mais cette perspective ne préoccupe pas non-plus Karin Hindenlang: «Nous ne sommes pas ici dans une forêt naturelle et elle ne le deviendra jamais. Par contre, nous voulons que les gens puissent observer une évolution naturelle.»

Solutions à trouver

Cette politique a toutefois des limites. Ainsi, en l’absence d’entretien, un ruisseau est en train de se combler avec des branches. Or la route cantonale ne passe pas très loin en contrebas. «C’est ce qui est intéressant, reprend la responsable. On doit trouver des solutions à chaque nouveau problème.»

Soudain apparaît sur un tronc en orange l’inscription «Kern Zone», marquant l’entrée dans la zone centrale, celle où les restrictions de déplacement et de comportements sont les plus strictes. À ce propos, Karin Hindenlang est obligée de constater que la signalisation positive (indiquant où passer) est insuffisante: «Ça ne marche pas. Nous allons malheureusement devoir la compléter par des interdictions claires.» À ses côtés, le ranger sourit: «Il y a et il y aura toujours des gens qui ne respectent pas les consignes. Mais avec la grande majorité de ceux qui enfreignent les règles, tout rentre dans l’ordre lorsqu’on leur explique les choses.»

Sylvain Müller

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