Zone cultivée ou ressource naturelle? Les pro- et les antiparc défendent leurs positions dans ce qui ressemble fort à un choc culturel.

La forêt est-elle une surface naturelle ou cultivée? Une ressource à protéger ou un espace de liberté? La question divise partisans et opposants du projet de Parc naturel périurbain du Jorat. Et si tous se prévalent de défendre cette forêt qu’ils aiment tant, le ton monte entre les deux camps. Lors de la verrée qui a suivi une soirée d’information de l’Association Parque pas mon Jorat! à Froideville, un partisan du projet s’est ainsi vu conseiller de rapidement quitter la salle, pour sa sécurité. «Nous n’apprécions guère le forcing des urbains», écrivait aussi la semaine passée l’ancien député Aloïs Gavillet dans le journal communal de Jorat-Menthue.

Le projet de parc raviverait-il un antagonisme ville-campagne? «C’est vrai qu’on a parfois l’impression que les Lausannois oublient qu’il y a des gens qui vivent aux abords des bois du Jorat», lance André Jordan sur le ton de la boutade. Mais le président de Parque pas mon Jorat! constate surtout qu’il n’y a pas de profil type parmi ses membres. «On a de tout. La seule chose qu’ils ont en commun est d’être des utilisateurs de la forêt: cyclistes, cavaliers, marcheurs ou champignonneurs.»

Plutôt qu’un conflit ville-campagne, la préfète Anne Marion Freiss observe ce qui serait davantage un antagonisme culturel, voire générationnel. «Car on trouve désormais au sein même des villages campagnards des exploitants forestiers aussi bien que des habitants uniquement utilisateurs de la forêt pour leurs loisirs.»
Cette maman de deux adolescents, par ailleurs présidente de l’Association Jorat, une terre à vivre au quotidien, qui pilote le projet de parc, constate également que les jeunes sont désormais très sensibilisés aux problématiques environnementales. «Ils sont soucieux de préserver les ressources, alors que les anciens ont appris à maîtriser la nature pour leur subsistance et leur sécurité.» «Je sais que je suis rétro en disant ça, mais quand je regarde une forêt, je vois le résultat du travail de mes grands-parents et de mes parents, confirme Aloïs Gavillet. La forêt leur fournissait le bois de feu et était pour eux une source de revenus.»

Chef du Service des parcs et domaines de la Ville de Lausanne, Étienne Balestra est aussi un ancien bûcheron et garde forestier. Il ne peut donc que comprendre cette perception. «Mais l’époque où le bois rapportait est terminée. Couper pour exporter à vil prix n’a pas de sens. Alors saisissons l’occasion qui se présente: encaissons les fonds disponibles pour la mise en réserve naturelle de 10% de la surface du parc et utilisons-les intelligemment. Par exemple pour développer les circuits courts et la valorisation locale du bois produit sur les 90% de la surface restants.»

Manque de cohérence

Ancien garde forestier lui aussi et désormais secrétaire de l’association de développement Région du Gros-de-Vaud, Alain Flückiger compare ce changement de paradigme à celui vécu depuis quelques années par le monde agricole. «Passer d’une politique publique de soutien à la production à un soutien aux mesures en faveur de la biodiversité est forcément difficile à accepter. Certains ont l’impression de se retrouver payés à ne rien faire.» Pour cet interlocuteur privilégié des communes du district du Gros-de-Vaud, le projet de parc est toutefois handicapé par le manque de cohérence entre les différentes politiques publiques en matière de promotion de la filière bois, de protection de la nature ou de production énergétique. «Il ne sera pas facile pour les promoteurs du parc d’expliquer pourquoi il faut mettre certains secteurs en réserve, alors que dans le même temps on organise la promotion du bois suisse et on cherche à développer le bois énergie.» Sans parler des défrichements qu’imposerait à quelques centaines de mètres du cœur du parc l’implantation des éoliennes des projets EolJorat Sud et Nord.

Sylvain Müller

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