En Suisse, il existe trois types de parc: le parc national, le parc naturel régional et le parc naturel périurbain. Un projet est à l’étude dans les Bois du Jorat pour accueillir un parc périurbain. Les citoyens partagent craintes et enthousiasme.

Le Wildnispark Zurich Sihlwald est pour l’heure le seul parc naturel périurbain de Suisse. Le parc du Jorat serait donc le premier en Romandie. Un parc périurbain doit être: situé à 20 kilomètres au maximum d’un centre urbain, facilement accessible par les transports publics, composé d’une zone centrale de 4 km2 et d’une zone périphérique (zone de transition) qui l’entoure. Dans la zone centrale, pour permettre la libre évolution des processus naturels, il est interdit:

  • de quitter les chemins et d’amener des animaux, excepté les chiens en laisse;
  • d’accéder avec un véhicule, excepté les non-motorisés sur les itinéraires signalés;
  • de construire des bâtiments ou des installations et de modifier le terrain;
  • de pratiquer l’agriculture et la sylviculture ainsi que la chasse et la pêche, à l’exception de la régulation des espèces par la chasse;
  • de prélever des roches, des minéraux et des fossiles, de cueillir des plantes et des champignons et de capturer des animaux.

La zone centrale a été définie d’entente avec les propriétaires forestiers publics concernés. Elle s’étend sur 440 hectares (10% du massif) et sur 5 communes: Corcelles-le-Jorat, Froideville, Jorat-Menthue, Lausanne, Montpreveyres. La zone de transition doit offrir des activités de découverte de la nature à la population. Ses contours et ses objectifs seront définis en 2018.

Parc candidat

C’est l’association JUTAVAQ (Jorat, une terre à vivre au quotidien), créée en 2012, qui est chargée de la planification du projet. Treize communes en font partie ainsi que l’Etat de Vaud en tant que propriétaire forestier. Cinq commissions se partagent les réflexions: garantie territoriale, scientifique et technique, communication, éducation et relations publiques, conciliation ainsi que bois, économie et tourisme. En février 2015, l’association a pu déposer un dossier de candidature à la création du parc. Ce dernier a été étudié par l’OFEV qui a émis un avis favorable. A l’automne 2015, le parc naturel périurbain du Jorat a donc obtenu le statut de «parc candidat ». A compter de ce jour, un délai de quatre ans était donné à l’association pour mettre sur pied le projet qui sera présenté à l’automne 2019 au Législatif des communes concernées. La forêt du Jorat est la plus grande du Plateau suisse et se situe proche d’une ville, des propriétés qui ne se retrouvent pas facilement ailleurs et qui réduisent les possibilités de créer des parcs périurbains. Pour les responsables, il s’agit d’une chance pour promouvoir l’identité joratoise au niveau national. Sophie Chanel, cheffe de projet, précise qu’il s’agit d’un projet établi «pour et avec la population». Et Anne Marion Freiss, préfète du district de l’Ouest lausannois et présidente de JUTAVAQ, d’ajouter: «Le parc est une opportunité de réfléchir collectivement au vivre ensemble de la région, dans le cadre d’un territoire qui subit une forte pression démographique».

Retour d’espèces

Si le parc est accepté, une zone de 440 hectares deviendra une réserve forestière naturelle. Dans les forêts exploitées, c’est notamment la part de bois mort qui manque, indispensable pour des milliers d’espèces d’animaux, de champignons, de lichens, d’algues et de mousses. En 2017, des naturalistes ont parcouru le Jorat afin d’effectuer des relevés faunistiques et floristiques. Ils ont identifié 906 espèces, dont 20% sont dites saproxyliques (liées au bois mort en décomposition). Des résultats décevants pour les spécialistes puisque cela correspond à 180 espèces sur environ 6000 présentes en Suisse. «Le Plateau suisse est devenu un pays pauvre avec une importante perte de diversité», regrette Daniel Cherix, entomologiste. Avec l’arrêt de l’exploitation sylvicole sur 10% du massif forestier du Jorat, le volume de bois commercialisé va diminuer. En 2017, le potentiel de bois exploitable annuellement dans la réserve a été estimé à 3911 m3. Pour Roland Rapin, cela ne met pas en demeure la forêt. «Le contexte économique est compliqué dans le secteur du bois, le parc peut être un outil pour nous aider dans notre métier.» Le garde forestier voit une chance de réunir les propriétaires et de faire quelque chose ensemble. Anne Marion Freiss estime d’ailleurs qu’il y a du potentiel pour améliorer la commercialisation, en soutenant davantage les circuits courts par exemple. Roland Rapin comprend la frustration du forestier qui a cultivé sa forêt, mais il estime qu’il s’agit d’un passage obligé. «On a gentiment transformé la forêt, on doit maintenant revenir à une notion plus proche de la nature.»

Promotion des produits

Dans la zone périphérique, le parc prévoira diverses activités. Un concept de sensibilisation, d’éducation à l’environnement et de découverte du patrimoine pour les citoyens est à l’étude, avec pour objectif de rendre la forêt attractive pour des tranches de population variées: enfants, familles, personnes à mobilité réduite, etc. Vincent Mercier, de l’Office du tourisme d’Echallens, explique que le touriste a évolué. Il n’est plus seulement un consommateur, mais aussi un acteur, respectueux des lieux qui l’accueillent. Il constate que les gens sont demandeurs d’un retour à la nature, au calme et au patrimoine. Le parc doit encore être l’occasion de mettre en avant les produits de la région, en regroupant les offres et en coordonnant leur promotion, par exemple dans une structure d’accueil. René Pernet, de la Fromagerie du Haut-Jorat, parle d’une vitrine culturelle et artisanale. «Il ne s’agit pas que de la valorisation d’un produit. Il y a une image derrière ainsi qu’un métier et un savoir-faire! » Il espère que le parc permettra de tisser un réseau entre les PME et de leur donner de la notoriété.

Agriculteurs actifs

Dans les treize communes concernées, il y a environ 140 exploitations agricoles (5600 hectares de SAU). L’Université de Lausanne a mis sur pied un projet intitulé «Le PNP du Jorat: enjeux et opportunités pour l’agriculture» qui se déroule en quatre phases.

  1. Inventorier les activités agricoles sur le périmètre.
  2. Identifier les mesures susceptibles d’avoir un impact sur l’agriculture et définir les marges de négociation.
  3. Réaliser une enquête auprès des agriculteurs.
  4. Formuler des propositions et recommandations.

Les entretiens individuels viennent de débuter. Trente agriculteurs vont être interrogés au final (répartition selon les régions et les types de production). Il n’est pas possible de tirer des conclusions, mais les enquêteurs constatent déjà une différence entre les exploitations sises au nord (proches de Lausanne) ou au sud du parc (communes plus rurales). Les agriculteurs périurbains ayant déjà une certaine «habitude » de la proximité avec les citadins. «Les attentes du milieu agricole concernent par exemple la mise en valeur des productions locales auprès des consommateurs», relève Sophie Chanel. Quant aux craintes, il s’agit de dégâts liés à la faune sauvage, d’entraves à l’exploitation, de contraintes légales supplémentaires, d’incivilités des promeneurs, etc.

Le projet vaudois ne fait pas l’unanimité

La création d’un parc dans les Bois du Jorat ne réjouit pas tout le monde. L’association Parque pas mon Jorat regroupe les opposants au projet: des utilisateurs (promeneurs, champignonneurs, cavaliers, cyclistes, etc.) et des propriétaires privés de forêts. Elle a pour but la sauvegarde des activités professionnelles et de loisirs liées à l’usage de la forêt. Les membres sont conscients des valeurs naturelles, économiques et culturelles des Bois du Jorat. Ils se disent «prêts à en garantir le respect, mais pas au détriment d’une perte de liberté et d’une mise sous cloche des forêts». Le vice-président Jean-Philippe Rey craint que les utilisateurs se trouvent piégés dans quelque temps. Le géologue prend exemple de la piste de ski de fond de Froideville. «On nous assure que nous pourrons continuer de l’ouvrir, mais si un arbre tombe et barre le chemin, nous n’aurons pas le droit d’aller l’enlever et nous serons probablement forcés de fermer cette piste.» Le président André Jordan rappelle que dans le parc périurbain de Zurich, des chemins se ferment chaque année. L’inexploitation de la forêt entraînant de l’insécurité par endroits.

Projet de la Ville

Les opposants s’interrogent également sur le regroupement dans la zone de transition des activités pratiquées actuellement sur l’ensemble du territoire. Ils le jugent contreproductif au regard de la densification des visiteurs par surface forestière. Ils estiment aussi qu’il n’est pas nécessaire de créer des structures particulières pour faire découvrir la forêt aux enfants ou pour rencontrer les producteurs locaux et acheter leurs produits. Finalement, Parque pas mon Jorat se bat contre un projet «de la Ville». Les opposants ont le sentiment que les citadins viennent imposer aux gens de l’arrière-pays une façon de penser et de voir. «Il s’agit pour moi d’une utopie urbanistique. Il y a actuellement trop de monde au Chalet-à-Gobet, la ville espère donc amener les gens plus loin», souligne Jean-Philippe Rey. Marc Rod, garde forestier pour le triage du Jorat, craint que certains secteurs deviennent trop peuplés. «La forêt du Jorat est coincée de toute part entre les maisons et la population est dense. Si un secteur est bloqué, les visiteurs iront dans des espaces encore préservés aujourd’hui.»

Meilleures parcelles

En tant que professionnel de la forêt, Marc Rod n’est pas favorable au parc comme il est pensé, comme beaucoup de ses collègues. Il estime que les spécialistes qui ont parcouru la forêt pour l’étude du projet n’ont pas une vision globale. Pour la biodiversité par exemple, il reconnaît que certaines espèces feront leur retour, mais peut-être au détriment d’autres qui préfèrent les espaces ouverts. Il imaginait plutôt des projets tels que les réseaux écologiques agricoles. Quant à l’exploitation du bois, le garde forestier prend exemple du paysan qui a 50 ha et à qui on demande d’en mettre 10 en jachères. «Pour ce faire, il recevra des subventions, mais il doit sacrifier ses meilleures parcelles, celles qu’il exploite facilement et sans danger. C’est la même chose pour la zone centrale, il s’agit des meilleures forêts du Plateau. » Marc Rod évoque encore le réchauffement climatique, un phénomène inévitable d’après l’institut WSL. «Pour y remédier, nous devons transformer les peuplements pour intégrer des essences plus adaptées, comme des chênes. Si cela se fait naturellement, il ne viendra pas de chênes avant 150 ans dans la réserve.»

Sarah Deillon

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