De Montpreveyres au Chalet-à-Gobet, au-dessus de Lausanne, le randonneur pénètre dans un monde végétal dense où la vie fourmille et où un projet de parc naturel est en train de prendre forme.

Aborder le plus vaste massif boisé du Plateau suisse laisserait à penser que la randonnée y sera aisée. Les dernières maisons de Montpreveyres dépassées, nous révisons cette première impression. C’est en effet une pente assez sèche qui conduit du petit village à un replat situé à l’entrée du Bois-de-Ban. À la croisée des chemins, plusieurs directions s’offrent à nous. L’itinéraire en diection du Chalet-à-Gobet en passant par la Montagne-du-Château, la borne des Trois-Jorats, le surprenant arbre lyre et de l’étang de la Bressonne aura notre préférence. Ce sont ainsi près de trois heures de marche à travers un relief vallonné qui nous attendent.

Une forêt à deux visages

Lors de la traversée de ce premier bois largement composé d’épicéas au pied desquels s’étalent des tapis de mousse, la fraîcheur de l’air matinal nous surprend. Nous l’avions presque oublié, mais nous sommes tout de même à près de 900 mètres d’altitude! Après avoir emprunté le vallon creusé par le Cerjux, un affluent de la Bressonne dont nous retrouverons l’étang éponyme en fin de parcours, nous atteignons le lieu-dit la Mellette. Une table massive placée à un coude de la route tombe à pic pour une première pause. Et comme il n’y a aucune buvette ni aucun restaurant sur ce tracé pour se rafraîchir ou caler une petite faim, mieux vaut donc prévoir le ravitaillement en eau et en nourriture. Aux abords d’un champ de blé tout juste doré et joliment parsemé de bleuets et de marguerites, cette placette ombragée offre un large coup d’œil sur les sommets du Chablais situés au-delà d’un Léman qui nous reste invisible. Les incessants clairs-obscurs que nous réserve par la suite le cœur des bois du Jorat vont nous séduire tout au long de notre chemin en cette magnifique journée de juillet.

Les contre-jours violents s’illuminent de la présence légère d’innombrables papillons. Ils soulignent le passage éclair de grandes libellules en chasse ainsi que les élégantes structures des fougères d’espèces différentes qui tapissent le sol. Surtout, ils révèlent ces prêles élancées à la chevelure ébouriffée dans lesquelles joue le soleil, laissant imaginer des elfes peuplant les coins les plus reculés du bois. Certains arbres sont immenses alors que d’autres s’imposent par la majesté de leur couronne. Hêtres, chênes, frênes ou épicéas: chacun semble avoir trouvé sa place. Soucieux de la santé et de l’équilibre de cette vaste forêt, le comité directeur du projet de Parc naturel du Jorat en suit l’évolution avec attention, l’un de ses objectifs étant que ce précieux patrimoine gagne en qualité. Le bois mort en est une composante essentielle, car il abrite une large biodiversité qui serait, sans lui, vouée à disparaître. Cela constitue d’ailleurs la grande différence entre une forêt exploitée et une forêt naturelle.

Une borne et des brigands

Avec la Montagne-du-Château et ses 929 mètres d’altitude, nous atteignons le point culminant de notre balade. Cet endroit est également le plus élevé du massif du Haut-Jorat. Ici, pas de véritable castel à proprement parler ni une quelconque autre construction. Ce nom ferait-il référence aux châteaux d’eau, désignant ainsi le point de départ des nombreux ruisseaux qui sillonnent le massif? Le mystère reste entier. C’est également sur ce tronçon du parcours que nous perdons le fil GPS que nous suivions depuis le début de notre balade, faute de réseau. La bonne vieille carte papier prend alors le relais.

Après un passage au couvert des Censières, qui résonne ce jour-là du son claironnant de joueurs de cor, nous parvenons au lieu-dit de la borne des Trois-Jorats. Mais c’est de fait à quinze minutes de marche du refuge que l’on découvre cette fameuse signalisation, coïncidant avec le point de rencontre des trois communes de Lausanne, Montpreveyres et Froideville mais également avec celui des trois districts de Lausanne, de Lavaux-Oron et du Gros-de-Vaud.

Tous les cinq ans, l’endroit devient le lieu de ralliement de l’emblématique compagnie locale des Brigands du Jorat. À l’opposé des bandes armées de ses sinistres prédécesseurs des XVI et XVIIe siècles, réputés pour la violence de leurs attaques sur les gens de passage, la sympathique bande veille à préserver tant la richesse des coutumes locales que le patrimoine naturel.

L’arbre lyre et le Talent

Une fois la route des Paysans traversée, nous voilà sur la piste d’une curiosité naturelle: l’arbre lyre. Là où il semble y avoir plusieurs sapins blancs côte à côte, ne s’en trouve en fait qu’un seul. Pliée par la neige dès son plus jeune âge, chacune de ses branches a formé un tronc au fil des années. Cet alignement de pousses lui a donné cette étonnante forme de lyre géante. À peine plus loin, au bas des côtes du Jorat d’Échallens, nous croisons pour la troisième fois le cours d’un ruisseau qui louvoie sans bruit, le plus souvent masqué par l’épaisse végétation. Le Talent prend sa source non loin de la Montagne-du-Château. À une quarantaine de kilomètres de là, ses eaux iront grossir celles du Nozon, puis de l’Orbe, avant de finir leur course dans le lac de Neuchâtel. Invisibles en journée, des écrevisses, qui se sont malheureusement raréfiées, se cachent dans les multiples anfractuosités qu’offrent les berges naturelles du ruisseau. Ce n’est qu’à la faveur de la nuit qu’elles s’aventureront en eau libre à la recherche de leur nourriture. Bientôt se distinguent entre les arbres les silhouettes plus familières de quelques chevaux, qui se partagent l’immense clairière de Moille-Saugeon. Nous ne sommes plus alors qu’à une quinzaine de minutes de marche de l’étang de la Bressonne, sur un chemin des plus plaisants. Ses abords fleuris attirent là encore une foule de papillons, parmi lesquels l’espèce nommée petit sylvain se taille une large part.

L’étang de la Bressonne est un peu le dessert de cette escapade essentiellement forestière. En faire le tour – il est aménagé afin d’être accessible aux personnes en fauteuil roulant – ajoute une touche enchanteresse à ce grand bois du Jorat. Inondées de soleil, ses eaux sont largement couvertes des feuilles elliptiques du potamot devant une plateforme d’observation. Des nénuphars y sont en fleur, offrant une escale bienvenue à de nombreuses espèces de demoiselles – de petites libellules – parmi lesquelles la superbe naïade aux yeux rouges qui n’apprécie rien tant qu’un bain de soleil sur des feuilles flottant en eaux calmes. On suivrait bien son exemple si on ne devait pas déjà reprendre la route pour rejoindre l’arrêt de bus de Sainte-Catherine.

Daniel Aubort

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